Au
temps où les recteurs défendaient les pêcheries
"Une loi de 1852
subordonnait l'existence des pêcheries de la baie de Cancale à l'approbation
du gouvernement et ordonnait la révision des titres de toutes celles qui
étaient déjà en usage. Chaque pêcherie fut l'objet d'une enquête
particulière. Les détenteurs des pêcheries produisirent les actes qui en
établissaient juridiquement les origines de propriété et attestaient la
continuité de leur possession. Une menace pesait donc. Elle se précisa en
1853 à la suite d'un décret qui visait ni plus ni moins à déposséder les
occupants des pêcheries. On leur interdisait toute réparation ; ils ne
pouvaient remplacer une pierre ou un pieu enlevé par la mer sans être
menacés de procès-verbaux.
Les prêtres des paroisses
côtières se firent alors les avocats de leurs populations. En octobre 1853,
ils adressèrent une supplique à l'Evêque de Rennes : Monseigneur Saint-Marc
pour lui demander son intervention auprès de l'Empereur Napoléon III.
Voici quelques passages de leur lettre :
"Permettez-nous de
faire-part à votre Grandeur de l'immense malheur dont sont menacées nos
pauvres populations... Il est question de soumettre les pêcheries à un
règlement qui équivaut à une complète destruction... C'est la ruine de 1500
familles... On suppose toujours que l'existence des pêcheries est nuisible à
la fertilité de la Baie. C'est le contraire, Monseigneur, en voici la
preuve, elle est évidente... Tous les raisonnements a priori qu'on a
entassés pour obtenir l'abolition des pêcheries tombent devant les simples
faits d'expérience... Les pêcheries, à peu près ruinées sous le gouvernement
de Louis Philippe furent, sur les vives instances du clergé de la Côte,
rétablies en 1848. Serait-il prudent de mettre, sans de graves raisons, ces
dures populations de pêcheurs, conseillées désormais par la faim, dans le
cas de croire que la République est le meilleur des gouvernements ?"
La pétition fut transmise
à l'Empereur par les soins de l'Evêque qui joignit une chaleureuse
approbation. Elle ne demeura pas sans effet et l'on peut penser qu'elle
influa sur les décisions prises par un arrêté d'avril 1855, lequel, dans un
premier article autorisait 44 pêcheries dans la Baie de Cancale (4 de plus
qu'il y en avait avant la dernière guerre). Alors que partout ailleurs, une
multitude d'établissements de ce genre était supprimée, ici très peu durent
disparaître, 5 peut-être.
La lettre des Recteurs de
la Cote, en octobre 1853, obtint donc la non-suppression des pêcheries qui
était envisagée par l'Etat. Mais cependant l'arrêté d'avril 1855 comportait
un article 2 peu rassurant. Il stipulait : "Les autorisations ne constituent
pas un droit de propriété, mais seulement un usage essentiellement précaire
et révocable et dont la suppression n'ouvre aux détenteurs aucun droit à
indemnité".
En vertu de ces principes, défense fut faite aux possesseurs des pêcheries
d'accomplir à leur sujet aucune transaction sans l'intervention des
autorités maritimes. Les esprits s'échauffèrent et l'agitation ne fit que
grandir et, cette fois encore ce fut le clergé de la côte qui intervint en
faveur de la population.
Plutôt que de remettre,
comme trois ans auparavant, la cause entre les mains de l'Evêque de Rennes ;
les recteurs de Cherrueix et de St-Benoît décidèrent (sans doute avec
l'accord de leurs confrères de Hirel, le Vivier, St-Broladre, St-Marcan et
Roz, etc) de s'adresser directement à l'Empereur. Ils se rendirent donc à
Fontainebleau ou se trouvait Napoléon III, en ces mois de mai et juin 1856.
L'Empereur les reçut et ils plaidèrent si bien la cause des possesseurs de
pêcheries qu'ils obtinrent que tous les arrêts et règlements ministériels
consécutifs à la Loi de 1852 fussent mis en sommeil et que les choses
recommencent à fonctionner comme antérieurement.
Sans doute les intrigues
des pêcheurs de Cancale ne cessèrent- elles pas. Une nouvelle pétition pour
la défense des droits des détenteurs des pêcheries était remise à l'Empereur
en 1858. Il semble bien qu'une fois de plus ils eurent gain de cause.
Finalement leurs droits furent reconnus et les pêcheries de la Baie
considérées comme des propriétés privées dont les détenteurs ne pourraient
être évincés que moyennant le paiement d'une indemnité ; les pêcheries
étaient comprises dans les héritages et partagées au même titre que les
autres biens immobiliers, avec paiement des droits de succession.
N.B. - Le Recteur de Cherrueix était alors
N. Laisne ; celui de St-Benoît : M. Péan."
(D'après les notes du Père Jh. Lemarié.)
Extrait du Bulletin Paroissial AU PAYS DE DOL 1970
|