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Scène paysanne Scène de battage du blé, sur la digue.
"La batteuse était pour nous gamins une autre occasion de réjouissances. Elle installait dans un champ à côté de la ferme une véritable machinerie théâtrale. Il y avait la locomobile d’abord, ventrue comme une vache métallique; la locomobile, avec sa grande cheminée crachant des fumées rousses, son volant énorme, ses soupapes qui faisaient le ludion sur le dos de la chaudière. Il y avait la grande courroie de cuir, déployée depuis la machine jusqu’à la batteuse proprement dite. (De temps en temps, la courroie saute; elle s’arrache au volant de la loco. C’est alors une péripétie. Les hommes s’interrompent dans leur tâche, ils accourent, on ramasse la courroie qui se tortille dans l’herbe comme un grand serpent, on la capture, on la remet en place et le travail reprend.) Et puis il y avait tous les hommes qui « servaient la machine ». Il y a ceux qui élèvent les gerbes au bout d’une fourche, et, assis au sommet de la batteuse, un homme reçoit ces gerbes, coupe le lien, pousse les épis dans la mécanique. Il y a ceux qui, la tête et le dos couverts d’un capuchon de toile, transportent les sacs de grain et les montent au grenier. Il y a ceux qui récupèrent la paille battue, et qui, avec cette paille, élèvent une meule énorme. Pendant des jours, la batteuse emplissait l’air de sa pulsation paisible. Le soir, quand on l’arrêtait, il se faisait un silence immense sur la campagne. Et on voyait les hommes se détendre tout à coup, comme la grande courroie qui, au flanc de la batteuse, s’arrêtait doucement de tourner, continuait sur son erre pendant quelques tours de volant, et puis, ralentissant pour de bon, s’affaissait comme un hamac sous le poids d’un dormeur". Daniel Gélin, Mon Père, récit, G.L.M. , 1995, p. 54-56
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