Voici un récit de mon beau-père sur la libération
de Dol.
Il cite des gendarmes de Cancale dont le témoignage aurait sauvé Dol des
bombardements américains.
Je vais vous décrire, telle que je la vécus, la
libération du pays de Dol.
Les Américains arrivent à Ville-Chérel, tandis que les
Allemands fuient à travers champs et chemins creux, incendiant sur leur
passage le château de l'Angevinière, et se regroupent à Dol.
La route nationale Dol Pontorson est absolument déserte ; il
serait dangereux de s'y aventurer. Pourtant, dans les champs, les
cultivateurs vaquent à leurs occupations habituelles, tandis qu'avec mon
beau-frère Louis Prêté, réfugié chez moi, intéressés par l'avance
américaine, je vais observer celle-ci de très près.
2 août 1944 :
A cinq heures du matin, se dirigeant vers Rennes et ailleurs,
les Américains passent sur la route de Pleine-Fougères à La Boussac.
A quinze heures, route Pontorson Dol, passage de trois
véhicules américains: une auto mitrailleuse et une Jeep (celles qui
allaient être détruites sur les Rolandières) et la Jeep des officiers
(stoppée à la Ville Jean) qu'occupaient un capitaine, deux officiers, tous
trois parlant français et à qui ma petite fille offrit des glaïeuls aux
couleurs nationales, au moment même où retentissent les coups de feu
détruisant les premiers éléments américains aux Rolandières.
Nous allions fêter la libération de Dol, mais il faut faire
demi-tour, il est encore trop tôt. L'armée américaine passe alors par la
Claie et emprunte les petites routes conduisant à La Boussac et Epiniac.
3 août 1944 :
L'artillerie américaine et une très forte infanterie
s'implantent dans toute la région des Tertres de la Claie, Rougé et
environs. Toutes les hauteurs dominant Dol à l'est en sont occupées et
pourtant toujours les cultivateurs
travaillent aux champs, moissonnent même. La campagne est semée de pièces
d' artillerie de tous calibres. Les Américains mettent le feu à l'un de
leurs chars en panne au Loup Pendu, craignant qu'il ne fut par la suite
utilisé par les Allemands et redoutant une avance de ceux-ci.
4 août 1944 :
Journée décisive. Ayant fait connaissance avec des officiers
américains à qui nous venons d'offrir du lait, ceux-ci nous apprennent
qu'une forte résistance allemande, six mille hommes, les attend à Dol et
que dès le brouillard tombé, l'attaque allait commencer avec bombardement
de la ville.
Mon beau-frère et moi-même, voulant tout voir et observer
l'avance américaine, nous traversons dans l'euphorie d'une libération
toute neuve de nos villages les camps américains installés sur nos
collines. Parmi les pièces de canon, et très bien accueillis par les
libérateurs, nous nous dirigeons sur Saint-Broladre pour voir ce qui s'y
passe.
A ce moment, les Dolois réfugiés sur la Banche arrivent se
ravitailler en pain à Saint-Broladre et c'est ainsi que nous leur
apprenons que les Américains étaient depuis deux jours chez nous. Ils
n'osent y croire, mais nous confirmons leur présence en leur montrant
billets, monnaie et cigarettes.
Et je crois pouvoir dire que c'est ici qu'une des phases les
plus importantes de la libération de Dol va commencer.
Comment Dol a
échappé au bombardement
Deux
gendarmes français arrivent à vélo de la route de Cherrueix à
Saint-Broladre et me demandent :
Est-ce que les Américains sont à St Georges ? Nous allons pour les voir...
Non seulement à St Georges, leur réponds-je, mais ici à trois kilomètres.
Si vous voulez m'accompagner, j'y retourne !
Ces gendarmes sont de Cancale et, chemin faisant, je leur
apprends qu'ils allaient même assister au bombardement de Dol où existe
une résistance de 6000 allemands !
Mais il n'y en a plus me répondent-ils, ils sont tous partis pour
Saint-Malo... Stupéfait, je leur crie : " Ah
! C'est vrai ? ....Faisons vite... ", et c'est en courant, vélo à la main,
que l'on termine la côte du Chemin Creux.
Puis, nous rencontrons à deux kilomètres la première Jeep,
ceci à la Croix de Rougé. Tous les trois, nous faisons signe aux occupants
de cette voiture et ils stoppent aussitôt. De nos explications, ils ne
comprennent rien, ne parlant pas français, mais voyant notre insistance et
devinant tout de même que l'on voulait voir leur chef, ils nous font signe
de les suivre. Nous nous accrochons à la Jeep pour gagner du temps et ils
nous emmènent à Langotière où est installé le quartier général.
Là, nous sommes reçus par l'interprète, un soldat étudiant en
médecine et né de parents français, et c'est moi-même qui fit la
déclaration de nos démarches.
Aussitôt, le chef est appelé, les gendarmes de Cancale se
présentent et l'un se déclare chef de la résistance de cette ville ; ils
ajoutent des précisions sur les Allemands évacués de Dol et plusieurs
renseignements sur la côte. Tout de suite, on met à notre disposition une
puissante voiture, mais seuls les gendarmes y montent, car, ayant
confirmation de la fuite des occupants de Dol, je préférais assister à la
libération de la ville.
C'est ainsi que le bombardement a pu être empêché "...
Je ne devais plus revoir ces gendarmes qui pourront vous
confirmer les faits et compléter cet épisode historique. Ce que je sais
encore d'eux, c'est que leur temps était limité pour la " passe "
allemande et que pour être exacts à l'heure indiquée, ils furent
reconduits par les Américains jusqu'au Vivier sur Mer environ.
Qui sont ces gendarmes ? Il faudrait les retrouver...
....Ensuite, j'ai rattrapé les premiers éléments de l'armée libératrice à
la hauteur de la Jeep détruite. En file et au pas lent, le fusil sous le
bras, ils avançaient. De chaque coté, les démineurs avec leurs appareils.
Pour leur donner confiance, sachant tout danger écarté, je marche seul
devant, sur le milieu de la route...
Ceux d'entre eux qui parlent français me disent alors qu'ils
ne peuvent m' empêcher de me faire tuer.
Mais j'en profite pour les rassurer et pour les convaincre
qu'il n'y a plus d'ennemis à Dol.
Précis dans mon souvenir, reste le spectacle de cette Jeep et
de cette auto mitrailleuse détruites, et aussi ces soldats américains
tués, allongés à la bifurcation de la route de Saint-Broladre à
Baguer-Pican, héros que je me fis un devoir de fleurir.
Je revois encore l'entrée des américains à Dol, les soldats
polonais cachés sortant de toute part et se rendant en criant " Polnisch "
aux libérateurs, et l 'après-midi, le retour des Dolois parcourant les
rues de leur ville heureux de la retrouver libre enfin, sans dégâts, et
ceci, grâce à des gendarmes de Cancale.
Avec le plaisir de vous avoir reporté le plus fidèlement
possible ce dont je fus témoin...
A La Boussac, le 3 octobre 1964.
Constant Nicolle.
Sources,
archives familiales.