Pharmacopée traditionnelle.
Mesdames, Messieurs,
La profession que j'ai exercée pendant près de cinquante années m'a permis
de recueillir pour la postérité quelques bonnes formules que je me permets
de vous présenter. Permettez-moi donc de vous les communiquer, prenez en
note méticuleusement et au diable Maître Purgon et son acolyte Maître
Fleurent.
Si vous avez constamment sous la main l'arsenal que je vais vous détailler
les constituants vous pourrez vous gausser de tout malaise, de toute gène,
de toute maladie ; vous deviendrez certainement centenaires au grand dam
peut- être de vos héritiers.
Je commence par un des plus anciens remèdes connus, c'est une source de sels
de chaux assez... particulière sur l'origine de
laquelle je ne crois pas pouvoir insister : L'Album Greacum était fournie à
nos ancêtres par la gent canine, elle eut en son temps une certaine vogue,
permettez-moi de ne pas insister sur son identité réelle. En grec même
en latin il y a une limite a ne pas dépasser en
violentant l'honnêteté. D'ailleurs pour plus
amples précisions, tous les dictionnaires complets pourront vous donner le
mot d'une énigme que je ne me reconnais pas le
droit de dénoncer.
Quelques médecins contemporains le prescrivent encore de temps à autre pour
combattre certains états nerveux, ce n'est donc pas un remède de bonne
femme dénué de toute
activité.
Connaissez- vous le "navet sauvage" ?.. C'est le rhizome d'une plante
commune dans notre région et qu'on appelle scientifiquement parlant "La
Bryone". Si vous voyez sur un talus, le long de nos routes une plante
grimpante ordinairement très vigoureuse et portant des feuilles
ressemblant, pour la forme, à celles de la vigne, s'ornant au printemps et à
l'été d'une jolie fleur verdâtre, mais de forme délicate et s'aidant dans
son ascension le long des supports voisins de fines vrilles ressemblant
aussi à celles de la vigne, avec cette particularité que dans son
développement, cette vrille s'enroule dans sa première moitié de gauche à
droite pour continuer sa croissance de droite à gauche ; vous aurez trouvé
la Bryone. Fouillez au pied, vous trouverez une énorme
racine ressemblant à un navet, coupez en deux et frictionnez
vos rhumatismes avec ce remède simple mais combien
énergique. Cela vaut tous les révulsifs connus.
Connaissez-vous le Bouillon de Cloportes, ces petites
bêtes noires qu'on rencontre dans tous les lieux humides.
Si vous êtes en quête d'un diurétique, il n'en est pas de
pareil. Mais il faut avoir ramassé les Cloportes le matin
à jeun avant le lever de soleil et... surtout...
avant d'avoir causé à quiconque : onze de la main
gauche, vingt-deux de la main droite et surtout ne
vous trompez pas, surtout aussi remarquez
l'influence du chiffre trois dans cette recette, la
moitié de 12 = 6. 2x3 = 6. Mais aussi 4x3 =12 et encore
7x3= 21 et enfin 12+21 = 33 à nouveau le chiffre trois,
chiffre favorable en la circonstance, car, si toujours sans parler
à âme qui vive, vous faites bouillir à tout petit feu ces
33 cloportes dans trois litres d'eau de pluie
durant trois heures dans une marmite posée sur un trépied. Si votre patient
absorbe votre breuvage en trois heures d'intervalle, il
n'y a pas de rétention qui résiste à pareil
traitement.
Êtes-vous enrhumé, faites-vous une bronchite qui vous
inquiète, craignez-vous uns lésion pulmonaire, rien de
plus facile à guérir. Préparez un bon bouillon
d'escargots ; là, aucune précaution spéciale à
prendre, la toxicité de ce remède étant nulle : dans une marmite mettez tout
ce qu'elle pourra contenir d'escargots bien
grassouillets, ajouter "quantum valueris" d'eau de
puits, un bon bouquet garni sel et poivre faites
bouillir trois heures, et que votre malade absorbe
cette délicieuse décoction, comme et quand il voudra ou comme il pourra ;
c'est par ce moyen que les tuberculeux condamnés par la faculté reviennent à
la vie.
Votre fils, votre fille vient de se faire une entaille au
doigt, le sang coule à flot ; ne vous affolez pas, il
vous suffira de chercher dans votre grenier ou votre cellier une de
ces énormes toiles d'araignée bien noire, entourez-en le
doigt accidenté, l'hémorragie s'arrête du coup et si les
microbes pouvaient parler vous entendriez ceci :
Tétanos ? Ne puis ! Purulence ? Ne daigne !
Paraphrase d'une devise célèbre.
Mais tout cela c'est un ramassis de petits moyens, il
existe depuis l'antiquité un remède héroïque et
universel, auquel la faculté, un peu avant
Molière, donnait chaque année son...
Je veux parler de la Théraque ; vous aviez oublié ce
nom, en admettant que vous l'ayez entendu prononcer, c'est
cependant un bien beau nom, il vient du grec Thériaque ce
qui veut dire.... Chaque année vers le milieu de l'an
toute la faculté réunie procédait à sa
préparation, c'était une cérémonie imposante, tous les Maîtres étaient en
robe et portaient perruque poudrée, les massiers précédaient le corps
des apothicaires pénétrant dans le grand amphithéâtre de
la faculté, et sur l'ordre du doyen, on procédait,
d'abord à l'examen minutieux des 72 produits
entrant dans la composition de ce remède fameux puis de mortiers en tamis
les solides devenaient poudres et lorsque le grand
Maître jugeait le mélange suffisamment fin et homogène la poudre
était mélangée à du miel vierge de toute impureté et la
cérémonie se terminait par la division de la Thériaque en autant
de parts qu'il y avait d'apothicaires dans le ressort de
la faculté, car chaque apothicaire était tenu de
s'approvisionner là et non ailleurs.
Et le corps des Maîtres quittait la salle avec le même
cérémonial, la même pompe qu'à son arrivée.
Ce remède était universel et héroïque, il contenait
72 produits différents dont des têtes de vipères, des
yeux d'écrevisses, de la corne de cerf râpée. Mon
Dieu, que notre digitaline, notre morphine, notre
pénicilline ont petite figure à côté de la Thériaque.
Aux temps passés, lorsque notre sou valait un sou, lorsqu'avec notre sou on
pouvait se payer un pain ou un bol de lait, une
devantelée de pommes de terre, nos ancêtres sortaient quelques pistoles de
leurs poches et intégraient dans le patrimoine
familial un remède populaire : La pilule perpétuelle.
La découverte du constituant unique de ce remède remonte au moyen âge. Un
jour deux révérendissimes bénédictins secondés de deux frères lais
s'affairaient dans leur laboratoire d'alchimie
autour de leurs cornues et de leurs creusets. Dans
un de ces creusets on versait du calcium, un
minerai nouveau ; la préparation refroidie on brisa le dit
creuset et l'on se trouve en présence d'un petit lingot
de métal brillant ressemblant à de l'argent.
Toutes les méthodes d'essai mises en œuvre indiquèrent que l'on se trouvait
en présence d'un corps inconnu, quel nom lui
donner ?
Au cours des opérations, un des frères lais s'était trouvé
incommodé, il vint à l'idée des révérendissimes chimistes
de faire un essai sur celui qui avait résisté, il en
absorba quelques graines mais faillit en mourir. Après mures réflexions
il fut décidé que l'on donnerait au nouveau métal qui
venait d'être découvert le nom "d'antimoine" et c'est sous ce
nom qu'encore aujourd'hui on désigne ce métal.
Et la pilule perpétuelle me direz-vous que devient-elle
dans cette histoire - m'y voilà.
On prépara à l'aide de cet antimoine des pilules purgatives mieux dosées que
celle qu'avait absorbé le brave frère lai, et on
les vendit aux braves bourgeois du temps - Qui
voulait prendre médecine absorbait la dite pilule - la récupérait la
rangeait dans son écrin de velours vert pour un
prochain usage. Telle était la pilule perpétuelle qui fit la fortune des
moines qui la découvrirent.
Et voici l'Herbe à la Femme Battue !.....
Oh ! Je sais bien que dans cette salle, aucune de vous
Mesdames n'en a jamais eu, n'en aura jamais besoin. Mais
enfin je devais vous citer cette panacée ! On ne refuse
jamais un service à sa voisine et dame quand certain dimanche soir J.P.
rentre un peu tard du cabaret, ayant perdu son
chapeau et le contrôle de ses actes ; si Perrette élève trop la
voix, fait d'intempestifs reproches ! Comme J.P. a la
main leste, il peut se faire que le lundi matin
vous ayez la visite de Perrette. Enseignez-lui
donc à préparer un bon cataplasme de Charnus
Commune, c'est ainsi que les savants dénomment l'herbe à la femme battue -
On en trouve dans les fossés à droite, passé le
Pont Limier, sur la route d'Épiniac. Cette plante à l'automne offre à la vue
de magnifiques fruits rouges en grappes, les
feuilles ont la forme de cœurs.
Le lendemain toutes traces de ses méfaits étant disparues J.P. sans honte
sera redevenu l'époux tendre et prévenant de sa Perrette. - Pensez donc, des
feuilles en cœur.
Avez-vous quelquefois les yeux fatigués - avez-vous mal
à la vue - allez donc cueillir dans les champs quelques
fleurs de Bleuets ou quelques branches de
Véronique officinale - une décoction d'une de ces
plantes vous servira à lotionner vos yeux malades
- le lendemain - plus rien. Ce qui a valu à ces
plantes le nom de Casse lunettes.
Et vous mesdemoiselles qui désirez conserver sur votre visage la fraîcheur
de vos vingt ans, n'ayez garde d'oublier de verser
dans l'eau de votre toilette matutinale, l'infusion
préparée avec les pétales de la Rosé aux cent feuilles.
Foin des crèmes, foin des fards, rien ne vaut
cette recette de nos grands-mères qui faisait dire
d'elles en leur jeune temps, qui ferait dire à
ceux qui vous rencontreront dans la rue ou dans un
salon, Dieu qu'elle est belle.
Et vos yeux garderont leur éclat, si chaque matin vous les
lotionnez avec un tampon de ouate imbibé de "Larmes
de Vigne" Qués aco ?
Quelque chose de très simple - au mois d'avril ou de
mai, vous vous rendrez au jardin, vous choisirez un rejet
de jeune vigne charnu et vigoureux, vous le
couperez vers les deux tiers de sa longueur et
vous recueillerez la sève qui s'écoulera, c'est
tout !
Si vous ne négligez pas ce petit artifice on dira de vous
lorsque vous serez grand-maman, elle a gardé la beauté de
ses yeux de vingt ans... Et comme les yeux sont le miroir
de l'âme !..
Si contre toute attente vos yeux se fatiguaient avant
l'âge, prenez note de cette recette, avec laquelle je
vais clore la série des conseils que m'a suggérés
une longue expérience.
Il n'est point de par le monde un collyre aussi efficace
pour rendre à des yeux fatigués qui vieillissent toute
leur beauté première.
Si v'savez ma es yeux...
Conférence donnée par Monsieur Gustave LELANDAIS
de la Société des Conférences de Dol, à l'hôtel de
Ville de Dol dans les années cinquante.
(Article aimablement communiqué par Michel Pelé.) publié dans Notre
Dol n° 43 - Automne 2000
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