Histoire en Pays Dolois  

Quelques pages d histoire locale

Dol, occupation, libération, 1939-1945

 

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Le maquis de Saint-Yvieux

Source : Le Rouget de Dol. Cahier n° 1 – 1946

A la lisière de la romantique forêt du Mesnil et des sauvages landes de Ville-Gate, sur le bord de ce torrent de Mireloup se trouve une bergerie abandonnée. C'est là qu'en août 1943 se réfugient de nombreux réfractaires et maquisards lorsque l'abri provisoire du château de Beaufort est jugé dangereux.

Yves Thouvenot, comptable à Saint-Servan, qui a fait 14-18 comme lieutenant, en est le chef.

Joseph Aubry, adjoint de Plerguer, favorise l'installation des réfractaires dans sa bergerie, mais le vrai soutien de ce nid de résistance est l'ancien maire, Henri Renard, distillateur, chef du groupe de l'Organisation Civile et Militaire pour l'arrondissement de Saint-Malo, réseau Centurie, en liaison avec Henri Bazin, l'abbé Barré et autres chefs O.C.M. de Dinan. Cependant le groupe dépend de l'organisation F.T.P. et non de l'O.C.M.

Parmi les maquisards, citons notamment Auguste Fouillet, Camille Briand, Henri Mainguy, Léonard Arqueboux, Joseph Yziquel, Claude Gonnord.

Parmi les ravitailleurs , signalons: Gabriel Delanoë fermier du Brignoux, près de l'auberge du "Torchon sale", et Jean Corvaisier, fermier de Pauvrette, près de l'étang de Beaufort; François Guillotel  boucher à Plerguer. Celui-ci loge des Américains parachutés, au péril de sa vie., Touzé ose faire aussi de même beau geste, lorsque trois Dolois hésitent à héberger deux aviateurs rescapés de l'avion tombé à Bénouis et découverts dans un buisson par un jeune Dolois plus courageux. Auguste Plainfossé imite Guillotel et Touzé.

Le capitaine Mustey, F.T.P., de Saint-Servan, venu inspecter le maquis où se trouve à ce moment 17 réfractaires, visite aussi Renard, maison sûre, chez qui passent les hors-la-loi descendant de la côte par Saint-Méloir, avant de gagner Bonnemain, la Boussac (chez le menuisier débitant Genouvrier), Trans (garage Renault), ou Dol (café Corbel).

Le responsable O.C.M. finance le maquis pendant quatre mois et fait dactylographier dans son bureau, au péril de sa vie, 7.500 bons de solidarité formant 150 carnets à souches, pour aider "les combattants d'Ille-et-Vilaine". Des gens sûrs: Pierre Boucher de Dol; Ernest Brel, Marie Boison; Auguste Hiart, de Plerguer; Henri Dubost de Combourg, Rochebrun, de Saint-Guinoux; et d'autres braves de la Côte se chargent de vendre ces dangereux billets. Renard organise l'O.C.M. à Plerguer, Dol, Saint-Malo, Saint-Coulomb, Saint-Guinoux, la Fresnais, Lillemer, Combourg et sens de Bretagne. En 1941, il a osé refuser de livrer des fusils de chasse et des munitions à un officier allemand, gardien chef de terrain d'aviation, se fait enguirlander par le Préfet et débarquer par Vichy.

Fin 1943, le maquis de refuge et de passage va passer à l'action contre les Allemands et les collaborateurs. On reçoit des armes. Gabriel Delanoë, avec une charrette contenant une caisse à cochons couverte d'un drap blanc, prend livraison d'armes, en plein jour, à la gare de Plerguer, grâce à la complicité du brave chef Second.

Hélas! Il y a un Judas pour les patriotes : l'un des anciens maquisards, M... L... Le dimanche 19 décembre 1943 à quatre heures du matin ce traître, un rouquin de Guingamp, guide la Gestapo, sept ou policiers, armés jusqu'aux dents venant avec des camionnettes, jusqu'à Saint-Yvieux où les maquisards sommeillent encore.

C'est la rafle, l'embarquement pour Rennes et l'Allemagne des 21 braves dont beaucoup ne sont pas revenus.

Peu après, le traître est abattu à Guingamp par un résistant du pays fougerais[1].

Le propriétaire de la bergerie est arrêté également et passe trois mois à la prison de Rennes.

 

Maquisards du maquis arrêtés

et déportés de Compiègne le 27 janvier 1944 vers Buchenwald

Cette liste est incomplète

 

ARQUETOUX Léonard ou Joseph. . Né le 9 avril 1921 à Inzinzac (56). Entré en clandestinité pour échapper au S.T.O. Matricule 43691. Décédé le ?/4/1945.

BRIAND Camille. Né le 7 septembre 1923 à Saint-Servan-sur-Mer (35). Matricule 43857. Libéré en avril 1945 à Blankenburg.

FOUILLET Auguste. Né le 6 avril 1921 à Dol-de-Bretagne (35). Il faisait parti du maquis de Saint-Yvieux. Arrêté le 19 décembre1943 à Plerguer suite à une dénonciation. Interné à la prison Jacques Cartier de Rennes du 19 décembre 1943 au 17 janvier 1944, il a été transféré à Compiègne d'où il sera déporté le 27 janvier 1944 vers Buchenwald (Matricule 43830), puis à Dora et Elrich. Revenu.

FOUILLET Joseph. Né le 8/6/1919 à Dol-de-Bretagne (35). Maquisard à Plédéliac, Saint-Yvieux. Arrêté le 19/12/1943 à Plerguer. Transport parti de Compiègne le 27/1/1944 et arrivé à Buchenwald le 29/1/1944. Matricule 43844. Décédé le 1/5/1945. Cité dans le ""Livre Mémorial des Déportés de France"" de la F.M.D. Tome 2 p 121"

GONORD Claude. Né le 3 mai 1922 à Nantes. Fondateur et responsable du maquis de Maison Rouge. Matricule 43830. Libéré le 11 avril 1944 à Buchenwald.

JOUAN Roger. Né le 20/1/1924 à Rennes (35). Faisait parti du maquis de Saint-Yvieux. Matricule 43507. Arrêté le 19 décembre1943 à Plerguer suite à une dénonciation. Transport parti de Compiègne le 27/1/1944 et arrivé à Buchenwald le 29 janvier 1944. Matricule 43507. Revenu.

MAINGUY Henri. Né le 5 décembre 1920 à Maubeuge (59). . Matricule 43922. Libéré le 15 avril 1945 à Bergen-Belsen. (Voir son récit plus loin)

TANGUY Bernard. Né le 14 août 1923 à Fougères. Il tente une première fois de rejoindre les Forces Françaises Libres à la frontière espagnole. Il revient au pays pour s'engager dans le maquis de Plédéliac dans les Côtes-d'Armor. Après avoir séjourné à Tressé, il est arrêté le 19 décembre 1943 en compagnie du sergent chef Fouillet à Saint-Pierre-de-Plesguen. Interné à la prison Jacques Cartier de Rennes du 19 décembre 1943 au 17 janvier 1944, il a été transféré à Compiègne d'où il sera déporté le 27 janvier 1944 vers Buchenwald (Matricule: 43843). Autres lieux de déportation : Dora, du 13 mars 44 au 14 août 44 et Hellrich du 14 août 44 au 25 décembre où il décédait.

YZIQUEL Joseph. Espagnol- Né le 13 juillet 1923 à Lanvaudan (56). Entré en clandestinité pour échapper au S.T.O Faisait parti du maquis de Saint-Yvieuc. Arrêté le 19 décembre1943 à Plerguer suite à une dénonciation. Transport parti de Compiègne le 27/1/1944 et arrivé à Buchenwald le 29 janvier 1944. Matricule 43895. Décédé le 23 mars 1945 à Ellrich. Source JO: 284-8/12/1993

 

Arrestation de Henry Mainguy

Henri Mainguy arrêté avec plusieurs de ses camarades dans le prieuré de Saint-Yvieux près de Plerguer a laissé un témoignage très détaillé de son passage à Jacques Cartier. Il laisse un témoignage précieux et remarquable sur son vécu de la déportation.

Son livre « Mes souvenirs de captivité » vient d'être mis en ligne et peut être lu à l'adresse suivante :

http://chouannerie.chez.tiscali.fr/Henri_Mainguy/Textes/A02_sommaire.htm

http://chouannerie.chez-alice.fr/Henri_Mainguy/Textes/B01_01_ch_I.htm

DÉPART EN TRAIN POUR L'ILLE-ET-VILAINE

Le lendemain matin samedi, nous partons de bonne heure. Le train est à 7H50. Il fait encore nuit. A la gare, nous retrouvons "Yannick" qui part en mission. Pendant que nous causons, il remarque un agent de la Gestapo auquel il a eu affaire au cours de son internement et c'est une belle frayeur. Nous jugeons prudent de sortir de la gare et entrons au café jusqu'à l'heure de notre train. Nous rentrons en gare sans Michel qui s'est éclipsé...

En quittant Nantes, pour longtemps, je regarde le port. Pour la première fois, je prends réellement conscience des dégâts accomplis par les bombardements de septembre : de nombreux bateaux ont la quille en l'air!!

A Rennes, nous trouvons un restaurant avec quelque difficulté, puis partons faire un tour en ville. Claude, attiré par les magasins, jette son dévolu sur une jolie trousse de toilette qu'il veut offrir pour Noël à Lucette, sa fiancée. Pour ne pas trop se charger, il décide de l'acheter au retour..., dans huit jours...

A deux heures, le train repart vers Dol-de-Bretagne (35). La campagne brumeuse de décembre défile derrière les vitres de notre compartiment. Claude me parle de sa vie militaire qu'il a quittée pour congé d'armistice. Il me montre des photos de camarades du 20ème Bataillon de chasseurs alpins dont il était caporal-chef... Nous entrons en gare de Dol et recherchons un train pour Plerguer (35) situé à environ 15 Km à l'ouest. Deux gendarmes nous abordent :

- Vos papiers, s'il vous plait.

- Voilà !

- C'est bien, vous êtes en règle et... restez-y ! Précisent-ils.

Nous sommes en avance, car au départ de Nantes, il n'y avait pas d'autre train que celui du samedi.. Nous ferions bien le trajet demain dimanche tranquillement : quelques kilomètres à pied ne nous feraient pas peur. Mais il y a cette terrible valise pleine d'armes à trimballer que nous devons porter à deux; alors nous prenons le train de Dinan qui nous emmène à Plerguer.

LE MAQUIS DE PLERGUER

Ce petit village breton aux jolies maisons de granit semble paisible, mais, hélas, il est occupé par l'ennemi. Immédiatement, l'organisation d'un maquis groupé et permanent auprès d'un village occupé m'apparaît d'une folle imprudence. Comme nous devons y faire des tirs d'armes automatiques, je crois rêver ! Je fais aussitôt part de cette impression à Claude qui la partage, mais me répond évasivement, sans doute pour ne pas augmenter mon inquiétude.

Chez le boucher GUILLOTEL, notre premier relais, nous montrons patte blanche : un morceau de page de livre découpé reçoit son complément. En avance de deux jours sur le programme, nous sommes les premiers arrivés. Mr GUILLOTEL a l'air de peu s'en préoccuper et peu concerné. Cela non plus n'est pas très rassurant !

Sur ses indications, nous partons sur la route de Plerguer à Le Tronchet, à la recherche d'une ferme-buvette-épicerie, où l'on doit nous donner de nouveaux renseignements. Il faut poser la question :

- " Connaissez-vous le capitaine Yves ? "

Celui qui nous répond positivement nous indiquera où le trouver. Nous cherchons cette buvette dans le vent et la pluie. Il fait un noir d'encre en plein après-midi. Mon chapeau s'envole à plusieurs reprises. Après bien des tâtonnements, nous dénichons enfin le café de madame BRIAND. Nous posons la question. Un type se lève et vient vers nous.

PRIEURÉ DE SAINT-YVIEUX

Avec un camarade, il nous conduit un kilomètre plus loin au Prieuré St- Yvieux sur la commune de Le Tronchet (35). Cette magnifique bâtisse édifiée au XVème siècle par des moines défricheurs est une ferme inhabitée jouxtant la forêt du Mesnil.

Notre guide, Léonard ARQUETOUS et son copain IZÉQUIEL sont des gars du Morbihan entrés en clandestinité pour échapper au S.T.O. On leur a dit que le "Capitaine Yves" pourrait les faire passer en Angleterre. Ils l'attendent, mais il est absent.

La ferme du "Maquis de Plerguer" est entourée d'un mince réseau de barbelés à bestiaux. Cette protection nous semble bien inefficace et pourrait même se révéler bien gênante en cas de fuite précipitée.

Nous sommes arrivés de nuit et ne connaissons absolument pas notre position. Les copains présents nous font découvrir la maison d'habitation, ajoutée en 1910 aux bâtiments des moines, où l'on se restaure, puis la grange où nous irons dormir. Le Bois du Mesnil à 50 mètres doit permettre un repli facile en cas de besoin et on a même ménagé une petite brèche dans les barbelés à cette fin. Nous pourrons dormir tranquilles et le reconnaître demain!...

Quelques minutes plus tard, arrive l'adjudant de carrière "Rémy" qui remplace le "Capitaine Yves". Il revient de la gare de Plerguer où il a accueilli deux officiers résistants. L'un d'eux, le "Capitaine Robert" est un de nos instructeurs.

Le soir, à table, les langues se délient. Il n'est question que de ravitaillement et des bons tours à jouer aux Allemands pour se procurer le festin de Noël si proche.

Puis "Robert" s'inquiète du résultat d'un sabotage de voie ferrée... Ensuite, il nous questionne sur Nantes. Claude lui parle de son Maquis de Maison Rouge, puis de "Janvier" (Dupé).

Après souper, "Robert" nous fait examiner quelques fusils 36, un mauser de 1914 et une caisse de balles. Le tout est caché dans un trou pratiqué près de la cheminée de la grande pièce principale de la ferme. Il existe un autre dépôt plus important comprenant des armes à répétition. Nous le verrons aussi demain...

Le rez-de-chaussée de la grange sert d'écurie. Une vieille Citroën s'y trouve sur cales. Ses roues et ses pneus ont été démontés pour éviter sa réquisition : elle sert au ravitaillement du maquis. Au-dessus, un immense grenier à la charpente magnifique peut recevoir jusqu'à cinquante tonnes de paille et fait fonction de dortoir. On y accède par une courte échelle escamotable installée au-dessus des mangeoires.

On remonte l'échelle. Nous sommes une quinzaine. Je m'installe près de Claude. Un copain se blottit contre la toiture et déplace quelques ardoises pour s'enfuir si besoin, précise-t-il à son voisin. Extinction des feux. La journée a été longue et fatigante. Je me couche dans la paille et m'endort presque aussitôt.

ARRESTATION

Le dimanche 19 décembre 1943 à quatre heures du matin, je suis réveillé en sursaut par la lumière électrique : on parle. Que dit-on ?

- C'est toi Georges ?

- Oui

- Qu'est-ce tu fous là à c't'heure?

- Envoie l'échelle. On va être attaqué. Faut se débiner.

- Merde ! J'te l'envoie tout de suite...

Mais je suis tellement fatigué que je ne prête pas l'oreille et comprends seulement qu'un certain Georges demande qu'on lui envoie l'échelle et... je me rendors.

Je me réveille bientôt à nouveau en sursaut. Un type gueule :

- Raus!

Le grenier est plein de S.S. mitraillette au poing.

- Oh non ! C'est pas vrai ! Me dis-je. Et si, c'est vrai...

Claude, à côté de moi, dort toujours à poings fermés. Nous avons bien cinq fusils à portée de mains, mais toute résistance est impossible. Je me redresse, ajuste ma veste sur mes épaules et lève les bras en l'air en m'appuyant le dos au mur, car j'ai les jambes qui tremblent. Je n'en mène pas large.

J'essai de prévenir Claude avec de petits coups de pied, mais rien n'y fait. Il dort toujours. Un S.S. le réveille à coups de bottes dans les côtes, puis vient me fouiller rapidement. Il m'oblige à retirer ma veste.

Je descends l'échelle avec un coup de pied quelque part, plus vite que je ne l'ai monté tout à l'heure. En bas, un autre S.S. me fouille à nouveau, puis m'autorise à baisser les bras. Il ne m'a laissé que mon mouchoir, mon chapelet et mon tabac.

Nous sommes ensuite mis au mur sans ménagement. Quelques-uns portent des menottes. "Rémy" et les deux officiers sont emmenés dans la maison d'habitation en face où ils sont interrogés tout spécialement. Nos paquetages y sont restés et sont fouillés en règle.

Comme il n'y a qu'une porte de sortie par laquelle nous pourrions nous échapper, peu de soldats restent à nous garder. Nous en profitons pour communiquer à voix basse. Je suis à côté de Claude.

 (7) Stratagème utilisé dans toute la France.

- Henri, attention ! Qu'as-tu fais du plan de Maison Rouge ? Ne révèle rien là-dessus ! T'inquiète pas. J'ai jeté le plan que Michel m'avait donné dans les W.C. du train de Rennes et je tiendrai ma langue.

D'autres copains parlent entre eux :

- C'est Georges qui nous a trahis. Il a des menottes, mais c'est bidon. On l'aura celui-là. Il perd rien pour attendre.

- Tu as vu, le copain planqué contre la toiture a réussi à se débiner, il n'est plus avec nous (8).

Les Allemands nous rendent notre pain trouvé dans le réfectoire et nous laisse manger un peu. Je vois nos deux officiers avaler des documents en même temps. Quant à moi, je suis bien trop malade pour avaler quoi que ce soit.

A l'aube, des renforts allemands arrivent. Je crois alors qu'on va nous fusiller et je reste pourtant dans la même position jusqu'à midi.

Le nez au mur, devant ma mangeoire, comme un écolier puni, les pires réflexions me passent par la tête... Je pense à mon passé. Par éclairs, affluent bons et moins bons souvenirs. Ma vie est finie. C'est la fin. Je nous imagine, alignés au mur, les mitraillettes en position de tir... Je prie et, pour la première fois, la Sainte Vierge veille sur moi et mes compagnons d'infortune, et me rend l'espoir. J'en suis quitte pour la peur.

EMBARQUEMENT EN CAMION

On nous rend nos effets délestés de tout ce qui est précieux : mon portefeuille et la montre en or de papa que maman m'a offert depuis sa disparition. Un militaire allemand, sans doute par esprit de corps, rapporte à Claude une des photos de ses chasseurs alpins. Puis on nous met des menottes et nous rejoignons la route. Là, on embarque dans des camions avec des gars des environs arrêtés pour la même cause. Nous sommes maintenant plus d'une vingtaine. Notre nombre ira d'ailleurs croissant dans les huit jours à suivre. Plusieurs chefs de Rennes viendront nous rejoindre en prison, sans doute dénoncés par des gars de Plerguer.

Dans un des camions, monte Joseph AUBRY âgé de quarante-quatre ans. Il a été arrêté à 8h. Gros propriétaire d'environ cent hectares et marchands de bestiaux, il a mis à disposition du maquis son Prieuré de St-Yvieux inhabité. Il s'en mord d'autant plus les doigts qu'il n'y a pas quinze jours, il a dit à son fils Pierre, âgé de vingt-deux ans :

(8) Je l'ai su à Compiègne... Comme je l'apprendrais 60 ans plus tard par Pierre AUBRY de Plerguer, ce prévoyant et rusé copain, assez fluet, a réussi à se planquer sous la transmission de la Citroën. Il attend sans bouger et entend tout. Il va attendre longtemps, mais pas pour rien.

- Nos sacrés maquisards ne sont pas assez discrets. Ils se baladent à découvert.

- Tu crois ?

- Et comment ! Tout le monde connaît leur cache. Çà va mal finir et on va nous arrêter.

- Partons en Angleterre.

Puis les affaires en cours les ont occupés et le projet a été reporté (9).

Dans le camion, menottés deux à deux, nous sommes accompagnés par deux S.S. Nous n'avons pas la moindre idée de l'endroit où nous allons. Les Allemands ne nous ont rien dit et nous avons intérêt à fermer notre gueule. Alors, comme tout le monde, je la boucle et patiente.

GEORGES

Un dénommé Georges avait réclamé l'échelle pendant mon sommeil. Pendant la matinée de notre arrestation, il semblait avoir un traitement de faveur malgré ses menottes. Il fut emmené à Rennes et rapidement relâché comme je l'appris à Compiègne par les camarades pris avec moi. Ils m'apprirent également qu'il nous avait vendus.

En 1949, à cause de documents administratifs, je pris contact avec Henri BOURET, ancien responsable des maquis de l'Armée Secrète pour la Bretagne, alors député des Côtes-du-Nord, et lui posait quelques questions sur les conditions de mon arrestation.

Il me répondit :

- « Quant au mouchard dont vous me parlez, GEORGES, il a été exécuté en février 1944 par le maquis de la Hunaudaye (Côtes-du-Nord)."

En juin 2001, répondant à la curiosité de mon fils Robert, je me rends sur place. A Plerguer, nous rencontrons Pierre AUBRY, quatre-vingts ans, le fils de Joseph l'ancien propriétaire du Prieuré Saint-Yvieux. Nous le questionnons. Il nous confie bien des détails que j'ai relatés ci-dessus. Il nous fait visiter la grange de mon arrestation. Le bar du restaurant du magnifique golf qui remplace l'ancienne exploitation agricole se trouve exactement à l'endroit où je fus arrêté cinquante-sept ans plus tôt.

 (9) Renseignements fournis par M. Pierre AUBRY - Le Puits - 35540 PLERGUER en juin 2001.

Enfin, Robert veut savoir ce qu'est devenu le mouchard. Pierre AUBRY, après quelques précautions de langage, nous conte ce qui suit :

Guy LÉON, originaire des Côtes-du-Nord ou du Finistère, était en 1943 ouvrier de la ferme DELANOUE au Brignoux-en-Plerguer, à trois cents mètres du Prieuré de St- Yvieux. Ce grand blond avait été d'abord un bon maquisard du Prieuré, sous le pseudonyme de GEORGES, puis, d'après ce que les camarades m'ont dit à Compiègne, avait voulu prendre l'ascendant sur les autres membres du groupe et même le diriger. Dès cet instant, il fut mis à l'écart ce qu'il n'accepta pas.

D'après les AUBRY par appât du gain, car les Allemands payaient les trahisons, ou par vengeance, d'après mes camarades, GEORGES vendit ceux de Saint-Yvieux.

Contrairement à l'affirmation d'Henri BOURET, Pierre AUBRY nous a assuré que le camarade qui avait réussi à s'échapper en se cachant sous la Citroën, était un excellent tireur au pistolet. Dès le 21 décembre, soit deux jours seulement après sa trahison, Guy LÉON tombait à Guingamp (22) sous les balles de ce bon tireur.


[1] Henri BOURET, ancien responsable des maquis de l'Armée Secrète pour la Bretagne, alors député des Côtes-du-Nord, précisera - « Quant au mouchard dont vous me parlez, GEORGES, il a été exécuté en février 1944 par le maquis de la Hunaudaye (Côtes-du-Nord). Mémoire d’Henri Mainguy

mise à jour : 11/08/2008