Je demande donc une permition qui m’est accordée sur-le-champ, alors, je m’en
vais donc de suite ; en arrivant dans mon village, je retrouve encore tous mes
parents se portant bien, ce qui me met la joie au cœur, mais malheureusement,
non pas tous mes amis, car il y en avait beaucoup qui étaient comme moi et qui
avaient été obligés de quitter leur toit paternel pour s’en aller supporter les
misères de la guerre et les souffrances que l’on endure en campagne, surtout
quand il s’agit d’y être dans la saison rigoureuse comme nous l’avons été
pendant l’hyver terrible de 1870.
J’ai donc le bonheur de pouvoir passer quarante huit heures auprès de mes
parents et amis, comme tous les voisins, aussi, que j’ai beaucoup surpris à mon
arrivée, car de ce moment, ils ne pensaient guère me voir ; alors ça à été une
fête pour eux et pour moi aussi.
Enfin, au bout de ces courts moments passés auprès d’eux ; il me faut donc les
larmes aux yeux, les quitter encore une fois et peut être pour ne les revoir
jamais ; et c’est cette seule pensée, qui ; en route, me tourmentait le plus ;
une fois que j’ai eu rejoint quelques-uns uns de mes camarades qui s’en étaient
venus en permition avec moi, ma douleur alors, a un petit peu cessé, et enfin
quand nous avons été arrivés au Mans, il a fallu reprendre les armes et aller à
la manœuvre ce qui nous a forcés à oublier tant soit peu les chagrins que nous
venions d’éprouver.
Nous passons encore quelques jours, après notre retour du pays, auparavant que
de nous remettre en campagne ; mais auparavant que de partir ; il se trouve des
nominations à faire ; comme un de nos sous officiers, étant tombé grièvement
malade, il fallait alors qu’il fut remplacé par un autre ; je fus proposé, et le
lendemain, après la proposition faite ; je me trouvais alors de garde, au poste
des halles de la ville, lorsque l’on vient m’apporter la nouvelle, que j’étais
nommé sergent, ce qui m’a surpris un peu, car je n’avais aucunement connaissance
que je fusse proposé ; je m’en suis trouvé très satisfait tout de même (c’était
alors le 8 novembre 1870).
Alors, cinq jours après, qui se trouvait le treize, nous embarquons en chemin de
fer, pour Nogent le Rotrou, nous y arrivons le soir ou l’on nous laisse passer
la nuit en wagons, et le lendemain matin on nous fait descendre pour nous faire
aller camper dans un champ qui se trouvait, au nord et à environ un
demi-kilomètre de la ville, on nous fait monter nos tentes ; puis on commande
une corvée pour aller aux vivres et à la paille ; quand tout ceci est arrivé, on
en fait la distribution par compagnie, ensuite par escouade, puis on se met en
train de faire cuire la viande pour faire la soupe ; quand tout est bientôt prêt
à manger, il nous arrive un ordre de lever nos tentes promptement, que nous
partons de suite nous sommes obligés de tout jeter par terre, non pas la viande
cependant, pour partir sur-le-champ.
Il est déjà trois à quatre heures de l’après-midi, on nous fait défiler au
travers de la ville, où nous nous enfilons sur la route de Paris, quand ayant
fait environ un kilomètre au-delà de la ville, nous voyons apparaître une
voiture chargée de soldats blessés, on leur voyait leurs corps tout sanglants ;
alors nous nous sommes dits ; il faut qu’il n’y ait pas longtemps qu’ils soient
blessés pour les voir encore tout sanglants, et en effet il n’y avait qu’un
instant que ceci était arrivé, un peu plus loin, on voit une troupe descendant
la cote, (car il se trouvait un coteau à cet endroit) et qui battent en retraite
; puis on nous dit, où allez-vous, voici les Prussiens qui nous poursuivent et
ils vont entrer dans la ville ce soir, il n’y a pas moyen de leur prévenir
résistance ; après avoir entendu ces paroles, nous commençons à monter la cote
quand même, puis nous prenons un petit chemin, que nous grimpons vivement,
arrivés au bout, dans un carrefour, ou entre trois routes ; on commande la
moitié de la compagnie de prendre des positions, d’aller se déployer en
tirailleurs dans les champs qui bordaient la grande route que les Prussiens
devaient bientôt descendre ; il est environ six heures du soir, on nous voyait
presque plus ; nous descendons les champs indiqués pour prendre nos positions ;
nous n’étions pas à moitié des champs, quand nous entendons quelques coups de
fusil et même nous en voyons le feu ; ces coups étaient tirés, a une intervalle
de quelques secondes, même de minutes, les uns après les autres, en descendant
la route ; nous ignorions qui c’était ; nous ne savions si c’étaient nos soldats
; ou si c’étaient des Prussiens, enfin nous descendons sur le bord de la route
tout de même, où je déploie, comme il faut, deux par deux, mes hommes en
tirailleurs,
Etant placés, nous restons quelques moments dans la même position, quand tout à
coup nous entendons une fusillade très vive, mais qui n’est pas de longue durée
; c’était de nos tirailleurs et notre compagnie qui venaient de faire cette
décharge, sur un escadron de uhlans, qui avait suivi nos troupes qui battaient
en retraite. Aussitôt, ils se replient et remontent la route, passant en face de
l’endroit ou nous étions déployés aussi, nous leur en faisons autant ; nous
avons laissé quelques morts et quelques blessés ; mais comme ils se trouvent
attachés sur leurs chevaux, nous n’avons pu les voir étendus sur la route, ce
qui nous aurait fait plaisir cependant ; après qu’ils ont eu reçu ces décharges
il fallait les voir défiler à rejoindre leur corps d’armée, que nous croyons
voir à chaque instant descendre la route pour entrer à Nogent mais, non, nous
avons occupé nos positions jusqu’à deux heures du matin et nous avons rien vu ;
nous avons donc été de garde, huit à neuf heures de temps, pendant lequel nous
avons souffert un froid presque insupportable :
On avait bien promis nous relever au milieu de la nuit ; mais il est deux heures
et nous sommes encore là ; ce qui a été très mal agit de la part de monsieur De
Pontbriand qui était à cette époque notre lieutenant en même temps que
commandant de notre compagnie ; il était réfugié dans une ferme, avec la moitié
de la compagnie, il était parfaitement là, ce qui fait qu’il n’a plus pensé à
nous.
Enfin à deux heures du matin on vient nous avertir de rejoindre la compagnie à
la ferme pour se réunir au bataillon ensuite, afin que la pointe du jour nous
fasse battre en retraite ; nous abandonnons donc nos positions sans les
regretter, et nous rejoignons de suite notre compagnie, et dans une heure nous
avons rejoint notre bataillon qui était en ville déjà depuis quelque temps.
La pointe du jour nous partons donc, pour nous diriger sur la route de Nogent à
Alençon ; nous faisons la route jusqu’à Bellême, pendant que l’armée prussienne
entre fièrement à Nogent. Arrivés à Bellême ou nous pensions rester pour y
coucher la nuit nous étions déjà cantonnés, quand on nous avertit que les
Prussiens nous poursuivent ; alors il faut donc nous préparer à mettre le sac
sur le dos pour s’en aller plus loin. Déjà bien fatigués, il faut tout de même
marcher ou se faire prisonnier. Nous voilà partis, pour Mamers, où plusieurs ne
peuvent parvenir à l’atteindre pendant la nuit ; obligés de coucher en route,
mais où, sur la route sur des mètres de pierre, où l’on a trouvé trois qui
s’étaient endormis pour ne plus s’éveiller; harassés, par la fatigue comme les
camarades, à environ une lieue de la ville de Mamers, sous un petit hangar, se
trouve un tombereau où, moi, ainsi que trois de mes camarades nous nous reposons
dedans et nous nous y endormons ; peut être deux heures après, il passe encore
des soldats où il s’en trouve qui nous éveillent, et nous disent qu’il faut
sortir de là, car les Prussiens arrivaient, qui allaient nous prendre ; nous
sortons donc promptement de notre humble réduit, pour suivre les autres, mais
quand il faut se mettre en route nous ne pouvions plus à peine appuyer ; nous
passons environ deux heures de marche pour aller à Mamers oui il nous restait
seulement une lieue à faire ; c’était pitoyable que de voir la manière dont nous
marchions ; Enfin nous arrivons tout de même à Mamers, le jour commençait à
paraître ; nous entrons dans une auberge, où nous nous proposions de boire un
café, on est prêt à nous le servir, quand nous voyons dans la rue, le monde
courir et crier ; voici les Prussiens ! voici les Prussiens ! Ces mots nous
effraient car nous croyons que cela était réel ; enfin nous sommes encore
obligés de partir sans rien prendre, nous commençons cependant à avoir bien
besoin de prendre quelque chose pour nous donner des forces.
Nous nous informons maintenant où est passé notre bataillon, personne ne peut
nous en donner de renseignement ; alors nous suivons la route et nous arrivons à
l’extrémité de la ville ; les troupes circulaient toujours, mais nous
n’apercevons point les nôtres :nous nous trouvions en face du bureau de
l’octroi, je frappe à la porte, on m’ouvre, je demande à allumer ma pipe, mais
auparavant que de l’allumer, le monsieur m’invite, ainsi que de mes camarades
qui étaient entrés avec moi, à manger un morceau ainsi qu’à boire un coup, ce
que nous ne refusons pas, car nous avions grand besoin, après avoir pris ce peu
de nourriture qui nous fait beaucoup de bien et ne voyant encore point notre
bataillon passer ; nous nous décidons à partir tout de même, car nous nous
sommes dits, peut être est-il devant la colonne ; enfin nous partons ; à une
lieue environ de la ville, il se trouve deux routes, une conduisant à Alençon et
l’autre à La Hutte ; arrivés là, nous voyons des troupes circuler sur les deux
routes ; alors, nous ne savions pas laquelle prendre ; nous demandons encore à
quelques-uns uns si on n’aurait pas connaissance ou serait passé notre
bataillon, on nous répond toujours que non ; ils étaient comme nous aussi, je
crois bien, ils ne savaient pas où étaient passés les leurs, car l’armée était
dans une déroute complète.
Il faut donc se décider à en choisir une de ces routes car nous ne pouvions pas
rester dans cet endroit là, nous avons eu encore un peu de chance car nous avons
pris celle qu’il nous fallait prendre.
Chemin faisant, l’eau s’est mise à tomber comme pour rien ; ne trouvant point ou
nous cacher, nous appercevons un petit bourg assez éloigné de la route, mais
nous y courons tout de même, nous y arrivons mais non pas sans être bien
mouillés, nous entrons dans une des premières maisons, où l’on nous fait un
grand feu ; nous séchons nos habits promptement, et pendant ce temps, nous
mangeons un morceau de pain et de fromage de lait, puis nous buvons un bon coup
de cidre ; après cela on nous offre une voiture pour achever notre route, que
nous acceptons volontiers, et nous voilà partis. Nous remercions bien la femme
de cette maison auparavant, car elle avait bien pris soin de nous, puis nous
disons adieu au bourg de Saint-Rémy ; quand nous arrivons au croisé des deux
routes de La Hutte et de Saint-Rémy, alors nous rencontrons notre bataillon qui
achevait aussi sa route ; nous étions très contents. En arrivant à La Hutte,
sans le faire exprès, un homme qui avait encore son fusil chargé, tue le cheval
du commandant, ce qui nous fournit de la viande pour manger : ensuite on nous
fait former les faisseaux dans une espèce de prairie, en espérant que le train
du chemin de fer soit arrivé pour nous reconduire au Mans ; mais il nous a fallu
l’espérer longtemps ce train, car depuis environ cinq heures du soir que nous
étions arrivés il nous a fallu attendre il était plus de trois heures après
minuit. Enfin, il arrive cependant, puis nous montons dedans, et nous arrivons
au Mans vers les sept heures du matin : on nous conduit à notre arrivée, quand
on est dans l’appartement du théâtre de la ville, car toutes les casernes
étaient pleines, vu qu’il y avait beaucoup de troupes.
(Voilà l’abrégé
de ma seconde campagne).