Généalogie et Histoire en Pays Dolois

Quelques pages d histoire locale

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 LE TOMBEAU DE St CARADEUC A ROZ-LANDRIEUX (1).

Dans la paroisse de Roz-Landrieux (2) non loin et au nord de la route qui va à Lillemer, à mi-chemin environ et à 2 kilomètres de ces deux paroisses se trouve le village de Langast. Quelques maisons de cultivateurs, rangées au bord d'une sorte de cour, forment tout le hameau. Mais de l'autre côté de la cour, en face des maisons, se trouve un puits, et, près de ce puits, une auge qui servait jadis d'abreuvoir.

Si, étonné par la forme de cette cuve de pierre, vous en demandez la provenance, on vous dira que c'est le tombeau de saint Caradeuc, dont la chapelle s'élevait, là tout près, où se trouve une maison isolée et comme bâtie sur un monticule rocailleux.

En fait, l'auge de pierre a bien la forme d'un sarcophage gallo-romain : renflement à la place des bras et rétrécissement aux pieds, rainure tout autour de l'intérieur des bords pour insérer le couvercle.  Nombreux furent, d'ailleurs, les Saints armoricains qui bénéficièrent de sarcophages abandonnés et prirent la place de leurs premiers occupants : tels saint Samson à Dol et saint Lunaire à Pontual (3).

Ici, le sarcophage est brisé : le couvercle sert de margelle "au puits voisin, le bout inférieur détaché lui tient lieu de marche. Mais on peut retrouver leur forme primitive et leurs, dimensions (4).

C'est là évidemment un sarcophage antique.

Mais quel est ce saint Caradeuc dont le mystérieux tombeau est venu ainsi s'installer au village de Langast ?

Le problème est difficile à résoudre, car au dire du R. P. Poncelet, jamais  l'étude  scientifique du personnage  n'a  été  faite jusqu'ici (5).

Il y a, en effet, plusieurs Caradeuc ou Caradec, honorés dans la grande ou la petite Bretagne.

C'est d'abord  un  solitaire armoricain, Carâdoc, que saint Guenaël (VIe siècle), rencontra sur la côte, en face de l'île de Groie,

 

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(1)  M.  Guillotin  de Corson  a traité  le même  sujet,  mais  avec d'autres données. Mélanges historiques : II, 264 ; Reçits de Bretagne : I, 37.

(2) Doyenné de Dol ; à 6 kilomètres à l'ouest de cette ville. C'est dans cette paroisse et près du même village que furent découvertes, le 30 janvier 1907, les pièces  gauloises  que j'ai décrites dans  le Bulletin de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine.

(3) Le sarcophage de saint Lunaire  porte même le nom de son premier propriétaire : SEVER.

(4) Longueur extérieure 1 m. 95 ; larg-eur intérieure au haut 0 m. 40 et au bas 0 m. 30 ; épaisseur des parois 0 m. 12 ; profondeur 0 m. 30.

(5) Analecta Bollandiana, octobre 1905 ; p. 513, no 243.

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lorsqu'il fut revenu de la Bretagne insulaire et de l'Hibernie dans la Cornouaille armoricaine, son pays natal (1).

Mais nulle part, ce Caradoc n'est qualifié de saint, il ne semble pas que son nom ait été connu et son culte répandu. Je l'ai indiqué le premier, bien qu'il ne soit pas le plus ancien, afin de l'éliminer tout d'abord et de laisser le champ libre aux deux saints Caradec qui appartiennent plus précisément à l'histoire.

Le plus ancien naquit au Ve siècle, dans l'île de Bretagne, d un petit roi de Cambrie appelé Keretic ou Keredic. Lorsque les Scots envahirent la contrée, les Bretons trouvant Keretic trop vieux voulurent mettre Caradoc à leur tête. Le jeune homme, tremblant devant la charge, alla se réfugier en Hibernie auprès de l'illustre Patrice ; il y bâtit un monastère et se lia d'amitié avec saint Tenenan(2).

L'invasion des Scots et des Pictes ayant eu lieu sous le troisième consulat d'Aétius, en 446, il semble d'après Tillemont (3) que saint Caradoc se retira vers cette époque dans la solitude et passa en Irlande vers 450.

Nous ne savons rien de sa mort. Sa vie seule est relatée dans les trois leçons du bréviaire de Léon, tirées elles-mêmes  d'un document très ancien, antérieur peut-être au VIP siècle (4).

Un troisième Caradec est plus moderne. Il vivait au XIe siècle, sur les côtes voisines de l'abbaye de Saint-Jacut, près la rive gauche de l'Arguenon, et exerçait la profession de passeur. Il était ivrogne et débauché.

Or un jour, un pauvre pèlerin, sans un sou dans sa poche, lui demande de le transporter, pour l'amour de Dieu, à l'abbaye de Saint-Jacut, dont il veut vénérer le sanctuaire.

Caradec refuse grossièrement, puis, mystérieusement touche par la grâce, il cède, transporte le voyageur au milieu d'un orage affreux, et, se jouant de la tempête, revient à sa cabane. Mais il a trop présumé de ses forces, il tombe malade, vomit le sang et meurt.

Le diable l'emporte dans l'enfer; mais saint Jacut et saint Guéthenoc le délivrent. Il passe alors une seconde vie très sainte à l'abbaye de son libérateur, et va au ciel après sa seconde mort (5).

Cinq paroisses bretonnes ont saint Caradec pour patron : Saint Caradec — Hennebont (Morbihan) ; saint Caradec — Tregonnel  (Morbihan); saint Caradec — Loudéac et Saint-Careuc, près Montcontour (Côtes-du-Nord) ; Carantec près Saint-Pol-de-Léon (Finistère). Des chapelles en Iguinel, près Plouai (Morbihan) ; en Mellac et en Pontaven, près Quimperlé (Finistère) ; le village de Saint-Cadreuc en Ploubalai (Gôtes-du-Nord), sont sous son vocable. Mais quel est leur patron ?

 

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(1) Dom Lobineau, Vie des Saints de Bretagne, p. 81.

(2) Mémoire pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, t. VI, p. 460 et 784.                      .

(3) Biblioth. nat., Imp. Inv. B. 4920, f. LLiiiVe.

(4) De la Borderie, Mélanges des Bibliophiles Bretons, t. II, p. 203..

(5) Vie de saint Jacut, Biblioth. nat., ms. lat. 5296, f. 62. — A. de la Borderie, Mélanges, IIe vol., p. 221.

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Saint-Gadreuc en Ploubalay et Saint-Careuc en Montcontour doivent avoir le passeur de l'Arguenon pour patron, le village dépendant jadis de Saint-Jacut et la paroisse de Saint-Careuc en étant très voisine.

A Garantec, on honore évidemment le moine irlandais puisqu'en même temps on rend un culte à saint Tenenan son ami (1).

Mais dans les autres? Mystère ! (2).

D'après M. de la Borderie (3) « la présomption semble être en faveur du  moine d'Irlande,  dont le  culte  aura  été  apporté  en Armorique dès le VIe siècle par les émigrés de l'île de Bretagne. »

D'après M. J. Loth (4) et M. le comte de Galan (5), le saint Caradeuc honoré dans notre pays serait le maître de saint Armel et de nombreux saints bretons que l'historien Le Baud (6) appelle Garantmail, d'où seraient dérivés les noms de Carantok, Caradoc, Caradec et Caradeuc.

Nous ne savons donc pas avec certitude quel est le saint Caradec de Langast.

La tradition populaire que n'arrêtent guère les problèmes historiques et que la concordance des dates ne trouble point a tranché toute difficulté.

D'après elle, saint Caradeuc était l'un des compagnons de saint Samson débarqué « au Mont-Dol. » Pendant que saint Méen évangélisait Cancale ; saint Petreuc, Baguer-Morvan et Plerguer ;

 « saint Caradeuc préférait Roz-Landrieux où il voulut mourir (7). »

II fut d'abord inhumé au bord de la mer (8), qui couvrait alors la Bryère, mais un jour la marée monta plus haut que de coutume et le cercueil de pierre qui contenait le corps nagea à la surface des eaux et s'éleva avec elles jusqu'à la colline voisine qui s'appelait Langast et il resta après la marée descendante dans le lieu où fut construite plus tard une chapelle. On y célébrait les offices et on y enterrait les morts, car on y trouva, depuis, beaucoup de squelettes.

Mais la Révolution a pillé et détruit la chapelle, jeté au vent les cendres du Saint et transformé son tombeau en abreuvoir.

Depuis lors vécut dans le village un homme qu'on appelait le bon frère Hardouin. Avait-il été frère de quelque congrégation, nul ne le savait. Il se vantait d'être allé en Terre-Sainte et il montrait, dans son jardin, un laurier qu'il disait en avoir rapporté.

Un chat noir le suivait partout. Le frère Hardouin était peu respectueux du tombeau de saint Caradeuc, et il se permettait d'y écraser ses pommes au pilon avant de les mettre au pressoir. Mais le Saint se vengeait, car toujours son cidre devenait aigre et filait comme de l'huile.

Oui la légende, comme toujours, est plus riche que l'histoire, mais elle a du moins l'avantage de nous donner une leçon, la morale même que tirait la brave femme qui me faisait ce récit :

«   Respectons  les tombes  des  morts  et  surtout  celles  des  Saints.  »

 

Joseph MATHURIN.

Supplément à la semaine religieuse du diocèse de Rennes, 8 février 1908, ex-libris, M. l'abbé J. Mathurin, paroisse St-Etienne, Rennes (Ille-et-Vilaine).

 

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(1) Mélanges, 11° vol., p. 203.

(2) D'après M. Guillotin de Gorson, la paroisse de Donzy, diocèse de Nevers, célèbre la fête de la Translation de S. Caradeuc, qui eut lieu au XIIe siècle, à laquelle et au village appelés depuis « chapelle du S. Breton, » et « la Bretonnière » ; et, en 1170, à Donzy. Cette paroisse possède encore des ossements du Saint.

(3) Ibidem, p. 209.

(4) Revue celtique.  Compte-rendu de l'histoire  de  Bretagne  de M. de la Borderie.

(5) Communication verbale.

(6) Histoire de Bretagne.

(7) Abbé Duine : Annales de Bretagne, t. XIV, p. 408.

(8)  J'ai recueilli  les  récits  qui  suivent de  la bouche même des habitants du village.

 

 

 

 

mise à jour du site : 08-sept.-2009          Contact         retour accueil