L'ÉCUELLE DE
SAINT SAMSON
Le beau jour d'été où vous irez voir la
merveille du Mont-Saint-Michel, peut-être trouverez-vous une heure et demie
à dépenser dans l'insipide village de Pontorson. En ce cas, croyez-moi,
n'arpentez pas ce que les bons Normands appellent leurs boulevards,
descendez la route qui est plus ou moins parallèle à la ligne de chemin de
fer, passez sous le pont qui permet à la locomotive de franchir d'un tour de
roue le triste Couesnon, et prenez le sentier qui suit la rive gauche du
fleuve vaseux. Vous n'aurez pas cheminé deux kilomètres vers le Sud que vous
apercevrez, dans les champs voisins, une métairie nommée par les paysans : «
la Ferme de l'Ile ».
Allez-y. On vous toisera des pieds à la tête,
mais si vous avez mine d'un brave homme, vous serez bien reçu. Et en avant
le cidre ! Il n'est pas bon, oh ! non ! du moins il est offert de grand
cœur.
Puis on vous montrera, dans la cour, à côté d'un
vieux puits qui a quelque quarante-huit pieds de profondeur, une belle cuve
de granit d'un seul morceau. Elle a environ un mètre et demi de diamètre et
un demi-mètre de profondeur; à l'extérieur elle porte des croix de
Saint-André, cerclées, dont six sont encore bien visibles. Malheureusement
elle a servi d'auge, a été percée d'un trou pour l'écoulement de l'eau et a
été dégradée.
— Qu'est-ce que cet objet ? demandai-je.
— C'est « l'écuelle de saint Samson » !
— Diable ! repris-je, il était plus affamé que
son cousin, le roi Arthur, dont j'ai vu, à Tintagel, les coupes minuscules
creusées
dans la falaise.
Pour les archéologues, ce monument curieux est
une cuve baptismale qui peut remonter à la fin du VIe siècle.
Ajoutons qu'il y a quelques années, on a relevé
dans cet endroit, les traces d'un cimetière; un cercueil de pierre a été
sottement brisé, mais on a conservé une statuette de la Vierge d'un
caractère archaïque.
Il est permis de regarder comme certain que le
fondateur de Dol établit en ce lieu un monastère-paroisse qui, dès
l'origine, porta le titre de l'Ile Saint-Samson, car les anciens
hagiographes appellent fréquemment les monastères celtiques du nom d'îles.
Toujours est-il que, vraiment, la ferme mérite
cette dénomination en hiver puisque, durant cette saison, elle est
totalement environnée d'eau. Aussi les gens du pays n'hésitent pas à faire
voir, à quelques centaines de mètres de cette demeure, un rocher où l'on
attachait jadis les gros vaisseaux !
François Duine. |