L' Ecole Primaire Supérieure et
Professionnelle.
Cette école était également une école maritime
par laquelle passaient tous les futurs officiers de marine
Le capitaine au Long Cours Léon Gautier, célèbre
cap-hornier, y fit ses études.
Cartes postales originales,
collection privée. |
En savoir plus :
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L'Ecole Primaire
Supérieure ; une tentative d'enseignement moderne, Claudine Lemetayer,
in Le Rouget de Dol, n° 54, 2 nd semestre 1988.
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Extrait des mémoires du
Capitaine au long-cours Léon Gautier, éditions Jean-Pierre Delarge,
Paris, 1978.
Tu iras jusque-là à l'Ecole de Dol. Moi-même, je
m'en suis trouvé bien — lui déclara son frère Louis;
J'obéis et partis pour
l'établissement maritime de Dol. J'y fis une entrée discrète le 1er octobre
1907, en tenue de petit officier de marine.
La vie des écoliers n'y était point de tout
repos. Agés de douze à dix-huit printemps, il leur fallait travailler ferme.
On les préparait sans douceur superflue à la carrière qui les attendait et
que la plupart voulaient ardemment.
Selon un horaire minuté soigneusement et qui s'étalait
sur quinze heures quotidiennes on y étudiait tout.
Cela allait des sciences à la boxe française en
passant par le chant et la musique. Je m'emplissais la tête et développais
mon corps dans des disciplines fort diverses et j'y apportais la plus grande
application.
Récréation de cette existence studieuse et
chargée, un dimanche par mois en famille. Quelle joie de s'échapper de la
«boîte». Je descendais en gare de Saint-Malo et flânais sur le port,
encombré de terreneuvas devant lesquels, nez en l'air, je rêvais. C'est
ainsi que je vis, peu à peu se construire le «Pourquoi Pas ?». Puis je
gagnais le point d'embarquement de Dinard, passant l'embouchure de la Rance
sur une petite vedette. De la cale de Dinard je parcourais d'un pas léger
les cinq kilomètres qui me séparaient de la maison familiale.
Le lundi c'était le retour vers l'école avec la
grise perspective du lever à cinq heures trente. Cette scolarité qui devait
durer s'interrompit en 1909... De la faute à «Bouf-Bouf».
En mai arriva la composition de fin d'année en
géographie. J'aimais beaucoup cette science. N'était-elle pas la base
essentielle de toute navigation ? Nous suivions sur les cartes les voyages
de Cook et de Dumont d'Urville. Quelles leçons ! Etant généralement classé
deuxième en cette matière, j'avais fignolé mon devoir pour tenter d'enlever
la première place.
Avant l'heure fixée, je portai ma composition dont j'étais fort satisfait au
«prof» de géo et d'histoire, M. Laurent, le fameux «Bouf-Bouf». Les élèves,
je ne sais pourquoi, surnommaient ainsi cet homme portant une épaisse barbe
d'un noir d'encre et d'une timidité maladive. Les grands, tout au long de
ses leçons ne cessaient de grommeler «bouf, bouf» entre leurs lèvres
mi-closes, ce qui le rendait furieux. Ayant laissé mon travail à ce
professeur, je regagnai tranquillement ma place. Avant de m'asseoir je jetai
un bref regard sur la feuille de mon voisin, lequel d'ailleurs séchait
lamentablement. C'est à ce moment que je reçus par derrière la gifle la plus
magistrale de mon existence, cependant que j''entendais la voix rageuse de «Bouf-Bouf»
qui éructait :
— Vous aurez zéro pour copier.
La mornifle devant une quarantaine de copains
goguenards était déjà difficile à digérer. Mais plus que le soufflet,
l'injustice et l'imbécillité de l'accusation me révoltèrent. Pourquoi
aurais-je copié puisque je venais de remettre ma «compo» ?
Je ne refléchis pas davantage. Le professeur, reculé d'un mètre, était en
bonne position. Le réflexe de la boxe française fut instantané et je lui
administrai un maître «coup de chausson». Il revint vers moi mais je pris la
garde d'un air menaçant et il n'osa insister, se contentant de hurler :
— Vous aurez aussi zéro de conduite.
Un silence atterré régnait dans la classe. Quel scandale à la vénérable
école ! Que l'on imagine. Nous étions en 1908 et un élève se permettait de
savater un enseignant !
La suite de ma brillante prestation ne se fit
pas attendre. Je fus mandé sans délai pour venir m'entretenir avec le
Directeur. Celui-ci n'était point un mauvais homme. Je crois bien qu'il
n'approuvait pas l'attitude de «Bouf-Bouf» et surtout qu'il ne comprenait
pas son accusation idiote. Mais la discipline devait être respectée. C'était
un principe. Il supprima le zéro de la composition et maintint celui de
conduite. Enfin, circonstance aggravante, il annonça sans grâce qu'il
écrivait, derechef à ma mère.
Lors de ma permission de fin de mois, je rasai
les murs et me fis tout petit pour franchir le seuil de la maison familiale
où le poulet directorial avait semé une consternation malaisément
descriptible.
Maman me fit observer les efforts et le travail
qu'elle accomplissait pour «mener» la terre, les vaches, les cochons. Tout
cela souligna-t-elle fort justement pour me faire éduquer convenablement.
Elle était bien mal récompensée ; voici que l'inouï survenait, je me
colletais avec un professeur. Je baissais la tête honteux, mais je profitai
bassement de la circonstance pour plaider ma cause :
— J'en ai assez de cette «boîte». Si je ne suis pas fichu à la porte,
annonçai-je prudemment — je finirai l'année scolaire. Mais dès les vacances,
je veux naviguer, partir sur un voilier, voir le Cap Horn.
Suivant les règlements maritimes il me fallait
son autorisation pour embarquer. Je le savais et poussant mes avantages
pendant que j'y étais je la lui demandai.
Je crois que la pauvre femme était excédée de cette obsession que je
rabâchais sans arrêt. La partie de pan-=crace avec «Bouf-Bouf» formait
par-dessus le marché, la goutte d'eau qui faisait déborder le vase :
— Eh bien, c'est entendu tu l'auras cette
autorisation et tu pourras t'en aller enfin — me répondit-elle.
J'évitai l'expulsion de l'école et terminai
l'année sans incident, mais auréolé je dois dire aux yeux de mes camarades
par ma démonstration de boxe française à l'égard d'un maître.
En juillet, libre et enthousiaste de mon
embarquement proche je retrouvai Ville-es-Quelmées et la maison maternelle.
Il faisait le jour de ma sortie, un temps superbe, rafraîchi par l'air du
large. Sur les hauteurs, je me retournai pour admirer la mer. L'infini
bleu-vert s'ourlait vers les côtes d'une hermine d'écume jouant contre les
rochers fauves. Les lames roulantes se frangeaient d'éclairs argentés sous
les rayons du soleil. Que c'était beau mon Dieu ! A ce moment précis,
j'éprouvai un choc. Lentement, sortant du port un splendide bateau quittait
Saint-Malo toutes voiles dehors. Je le reconnus. Majestueux, semblable à un
bijou rarissime sur un lit de satin, il gagnait le large, fendant de sa fine
étrave, le flot tranquille. Jean Charcot et le «Pourquoi Pas ? » partaient
vers leur destin.
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