Petites industries doloises.
L’ USINE
A DOL, on dit toujours l'Usine du bas de la
Lavanderie.
C'en était une vraiment à l'époque : sucrerie,
distillerie, four à chaux, briqueterie, tuilerie, élevage de bêtes à cornes,
de porcs et de moutons.
Vous voyez, dolois, que c'était très important
pour ce pays. Cette usine, je me hâte de le dire, a, pendant plus de trente
ans, fait la prospérité du quartier de la Lavanderie. Elle occupait de 60 à
80 personnes, hommes et femmes. Plusieurs cafés et magasins furent fondés
durant cette période.
Elle fut fondée et édifiée par Monsieur Victor
RAMÉ père en 1864.
Il la dirigea quelques années et la céda à son
fils Victor quand il fut marié. Disons aussi, et c'est important, qu'à ces
moments-là, il n'y avait pas d'inondations dans le marais et l’usine fut
très prospère jusqu'à 1883.
Je reviendrai sur cette date.
L'idée principale du fondateur était de
fabriquer du sucre avec des betteraves. Des plantations furent faites sur
plus de 200 jours de terre dans le marais et les champs bordant la bruyère.
Plusieurs cultivateurs signèrent des contrats de culture. Mr. RAME dirigeait
tout lui-même, distribuait les semences, donnait les conseils techniques.
Hélas, la teneur en sucre était trop forte, l'extraction était difficile et
coûteuse. Il décida d'en extraire de l’alcool.
Une distillerie modèle fut construite avec un
outillage perfectionné, l’alcool neutre à 90° se vendait bien, trop bien
même. Les résidus de cette fabrication ou tourteaux servirent à engraisser
des vaches et des porcs.
On se rappelle encore de cette vaste étable qui
abritait 80 animaux, wagonnets sur rails circulant aux abords des
mangeoires.
La fabrique de briques, tuiles, le four à chaux
apportaient de sérieux bénéfices. On prenait la terre dans les terrains
bordant la route de La Fresnais, entre le Pont-Neuf et la Fauvelîère. Tout
allait donc bien. La famille RAME était très considérée à Dol, les ouvriers
étaient heureux,
En 1880, Mr. Victor RAME vendit son affaire à
Mr. MAGNY et se retira à Paris.
En1883, arriva une inondation tellement subite,
qu'elle surprît tout !e monde. Les bâtiments, l’outillage furent
détériorés, les bestiaux durent être évacués en hâte, et beaucoup périrent.
Plusieurs années de suite virent le même désastre. Nous savons ce que c'est
encore maintenant, car, depuis 1910, il y a
inondation presque tous les ans.
La ruine menaçait la maison, un malheur n'arrive jamais seul. Il y eut de
nombreuses fraudes sur l'alcool, d'où fortes amendes et procès. La direction
n'était plus aussi ferme que du temps des RAMÉ. Bref, après avoir résisté
jusqu'en 1895, l'usine, si prospère auparavant du fermer ses portes, il en
reste quelques bâtiments qui ont servi de maisons de demeure. Mr. Joseph
MARIA y avait établi un atelier de charronnage. Sa mort mit fin à son
entreprise tout dernièrement. Aujourd'hui, Mr. BELISSANT y possède une
scierie mécanique et des ateliers de toile à cidre et claies de pressoirs.
La prospérité y règne, mais les aléas sont grands. Notre marais de Dol est
loin d'être asséché malgré les défenses formidables, faites dans le delta du
Vivier en
1942-43.... .Ingénieurs étrangers au pays, vous
devriez connaître votre histoire avant d'engager notre argent dans des
entreprises qui sont vouées à l’insuccès,
Les travaux du Vivier sont à recommencer, ils
n'auraient d'abord jamais dû être entrepris en temps de guerre. La seule
solution est le curage, l'approfondissement du Guyoul, des biefs et des
hanches, et bien entendu de tous les fossés. Nos aïeux nous ont montré le
chemin.....!
La liquidation de l'usine donna lieu à des
scènes de pillage, Ses chaudières, les alambics en cuivre rouge, les
tuyauteries furent achetés à vil prix par des chiffonniers qui en firent une
fortune. Mr. MAGNY mourut dans la misère.
En résumé: …. grandeur et décadence de l'usine à
goutte... .comme l’appellent encore les vieux dolois.
POTERIE - BRIQUETERIE
Il existait dans le même temps à
HAUTE FOLIE, rue de Rennes, une usine de briques, four à chaux,
fabrique de tuyaux de drainage, poteries, exploitée par Mr. Alcide ESNOUL -
MAISONNEUVE. L'abbé Lécarlatte dans son Histoire des Dolois, en 1864, en
parle ainsi : "Il sort de cette usine des produits vraiment curieux qui
décèlent dans leur auteur un talent original, indiquant un sculpteur et un
artiste hors ligne. Il fabrique des creusets; des cornues de qualité
supérieure. Une multitude de personnes sont chaque jour occupée par Mr.
ESNOUL qui les traite avec bienveillance ».
LES HERBORISTERIES
Concurremment à son usine d'alcool, four à
chaux, briqueterie et élevage de bêtes à cornes, Mr. RAME avait aussi fondé
pour son autre fils Henri, une sécherie de plantes médicinales.
Les locaux se trouvaient à la Lavanderie dans
les dernières maisons à droite ; en face la passerelle sur la rivière,
maisons où ont habité MM. PESTEL, HOQUET et BELISSANT actuellement, soit 32
et 34 rue Saint-Malo. La sécherie à peine fondée, les bâtiments furent
incendiés en 1868, le feu avait un aliment facile car les toitures étaient
en paille.
Mr. RAME acheta la maison au nord de la Motte à
Madame, à gauche de la cathédrale, où demeure actuellement le sacristain ;
Jean BALANT. Cette maison fut transformée en usine avec chambres étuves à
chauffage constant pour le séchage des plantes; l'habitation des RAME était
derrière, au fond du jardin bordant le chemin des Murets.
L'approvisionnement des sécheries était fait par
des cultures dans les champs appartenant à Mr. RAMÉ, notamment dans toute
la Hélandais où les haies en bordure n'étaient que des sureaux, par des
cultivateurs du pays et de la côte qui avaient passé des contrats de culture
et enfin par des ramasseurs, femmes et jeunes gens qui apportaient leurs
pouchées à l'usine tous les soirs. En montant la Lavanderie, ces vieilles
femmes, pour la plupart, prenaient une bolée chez la mère MABILE qui tenait
café au coin de la Lavanderie et du chemin des Murets, et un mic, en
revenant, quand elles avaient été payées.
Les cultivateurs amenaient les plantes par
charretées entières. Mais quelles plantes? Des feuilles et fleurs de sureau,
du noyer, du chiendent, de la menthe et surtout de la lamberge.
Les affaires marchaient bien. Mr. Henri RAMÉ
vendit à Mr. DESGRANGES père qui continua à faire prospérer l'entreprise.
Les ballots de plantes bien emballés étaient expédiés par la gare. De cette
lamberge mauvaise herbe de nos jardins, qu'en faisait-on? Les mauvaises
langues disaient que cela servait à mélanger au thé pour en augmenter le
volume.
Il y avait des risques, quand un
incendie survenait à Dol, c'était presque toujours chez le père
DESGRANGES. L'un d'eux se déclara un soir de Jeudi-Saint, On cria au feu
dans la cathédrale durant le salut et tous les assistants quittèrent
l'office pour faire la chaîne.
Mr. DESGRANGES céda à son fils. Celui-ci perdit
beaucoup d'argent dans un incendie plus violent que les précédents. Je me
rappelle la toiture en ruine quand j'allais à l'asile; l'usine fut liquidée
en 1903.
IL y eut aussi à la Chaussée, à peu près aux
mêmes dates, une autre sécherie de plantes tenue par Mr. VALLÉE, marié à une
demoiselle LAVALLEE, les locaux étaient au 40 de la rue de Paris
actuellement. Cette maison s'approvisionnait de la même façon que la
précédente, mais les plantes étaient séchées à l’air libre, sous des hangars
dans la cour. Elle n'exista que quelques années. A cette époque, il n'y
avait pas de chômeurs à Dol, ce mot-là était inconnu. Pour se procurer
quelqu’argent, il suffisait d'aller ramasser de la lamberge ou du chiendent,
et puis la vie n'était pas chère !
LES DILIGENCES
La gare de DOL fut
inaugurée le 27 juin 1864. Avant les chemins de fer, les voyageurs se
servaient des diligences, cabriolets et malles postes.
Ces transports étaient soumis aux règlements
impériaux. Les tenanciers de ces services étaient nommés et agréés par
l'Etat. Ce furent au siècle dernier MM. Victor RAME, BOIVIN et SOURDIN
François.
Dol avait les concessions des lignes de Rennes,
Saint-Malo, Fougères, Pontorson et Dinan; les concessionnaires louaient
aussi des voitures particulières.
Il y avait deux bureaux : l'un place de
'Eperon (place Toullier actuelle), l'autre,
29 rue Lejamptel. Les voitures
étaient à quatre roues, très spacieuses, à banquettes très rembourrées, à
l'avant on avait le coupé ou première classe; normalement l'attelage
comprenait quatre chevaux mais on pouvait en mettre six pour monter Ses
côtes. Sur le toit, sous la bâche, il y avait place pour d'autres voyageurs
et pour les bagages.
Le postillon ou cocher était en uniforme;
chapeau de cuir bouilli et brassard de la poste impériale.
Les marchandises étaient acheminées par le
roulage qui était un service spécial. Les services étaient rapides, compte
tenu des circonstances, les voitures ne s'arrêtant qu'aux relais, juste le
temps de changer (es chevaux»
Dol possédait les relais de Hédé, Le Point du
Jour, Trans, les Tertres de la Claye, le Val Hervelin. Les chevaux laissés à
l’aller, revenaient au retour.
Inutile de dire que le personnel était nombreux,
occupant des métiers accessoires: cochers, palefreniers, garçons d'écurie,
carrossiers, peintres, bourreliers, selliers, comptables.
Quand le Chemin de fer vînt à DOL, Mr. François
Sourdin vendit 52 chevaux sur la place du Champ de Mars (place Chateaubriand
actuelle).
Que dire du messager hippomobile Mr. TEZE qui,
(ponctuellement et sûrement) assurait le transport des colis St-Malo - Dol.
Le bruit de son camion était caractéristique et, le soir, pouvait régler
l'horloge.
Source :
Léon Derennes, vice-président de la Société
Historique et Archéologique de Saint-Malo, textes écrits en 1946 pour la
Société des Conférences de Dol. Certains de ces textes sur les vieux métiers
dolois furent publiés dans le journal Ouest-France.
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